Carlos Gracie, “le cerveau et l’âme du Jiu-Jitsu Brésilien

La saga continue ! Cette seconde tranche d’extraits de la biographie de Carlos Gracie, le grand patriarche du clan, va vous faire visiter un deuxième quart de 20ᵉ siècle haut en couleurs et en péripéties ; un certain âge d’or de la mythologie Gracie qui s’enracine dans les années 20 pour s’épanouir dans les années 50.

La 1ʳᵉ Académie Gracie, les premiers combats de Carlos, son coaching d’Helio, la montée en puissance du Jiu-Jitsu, l’accession au pouvoir de la famille la plus martiale du Brésil… En route pour plus de 30 ans d’aventure. La grande histoire du Jiu-Jitsu Brésilien et du Vale-tudo.

À L'ORIGINE DU VALE TUDO ET DE LA DYNASTIE GRACIE - 2ᵉ PARTIE

Peu après l’épisode de la prison, Carlos rentra à Rio avec George par le train. Au début, ils restèrent à l’hôtel Vitoria, qui se trouvait à la rue Catete. Il avait l’intention de louer un immeuble ou une grande maison où il pourrait ouvrir une académie de sport et loger toute sa famille. Cependant, n’ayant pas beaucoup d’argent, il dut se contenter de louer une maison très modeste au 106, rue Marques de Abrantes. L’immeuble ne correspondait pas exactement à ce qu’il avait rêvé, mais au moins, il satisfait ses besoins les plus immédiats : Hélio et George sont venus vivre tout de suite avec lui. Oswaldo et Gastaozinho (Gasto Gracie Jr, NDLR), qui travaillaient avec leur père y emménagèrent peu après. C’était à cette époque-là que Carlos commença à perfectionner l’enseignement du Jiu-Jitsu de ses frères. Il leur enseigna de nouvelles techniques et leur transmis ainsi tout le programme de défense personnelle et la stratégie de combat qu’il avait développé lors de son séjour à Belo Horizonte et à Sao Paulo. Gastao était petit, mais il avait un don particulier avec les élèves. Et comme il avait déjà reçu des cours à Belém, il a assimilé assez vite les nouvelles techniques, pour pouvoir aider en tout qu’instructeur. Même chose pour Oswaldo, à la différence que celui-ci aimait bien se battre et qu’il était toujours prêt à relever un défi. George fit beaucoup de progrès et Hélio, petit à petit, a commencé à assimiler les leçons et à participer aux entraînements.

CARLOS GRACIE ET LA HONTE D'ÊTRE COMBATTANT

La partie la plus riche de la famille Gracie n’était pas la seule à maîtriser la profession de combattant. À l’époque, la profession était mal vue par la société en général, parce qu’elle était exercée par des hommes corpulents et peu instruits. Cesalina avait beaucoup pleuré quand ses enfants avaient décidé de poursuivre dans cette voie. Elle répétait souvent : “Comment est-il possible que vous qui appartenez à une famille des diplomates et qui êtes petits-fils d’un Haut Dignitaire de l’Empire puissiez devenir des combattants ? Quelle honte !” Elle a eu tout le mal du monde à accepter la profession choisie par son fils Carlos, qui entraîna en outre ses frères dans son sillage. Carlos savait lui la place cruciale du combat dans l’univers masculin. Il savait qu’un bon combattant, soit-il pauvre, riche, blanc, noir, rouge ou jaune, serait toujours respecté par les autres hommes. Malgré tous les efforts de sa mère pour le convaincre que combattre était réservé à des gens pauvres et ignorants, sa référence restait Maître Conde Koma, dont la noblesse de sa conduite inspirait le respect de tout Belém.

Le fait d’habiter chez sa belle-mère, où régnait une ambiance raffinée, ne faisait qu’augmenter encore le mécontentement de Cesalina. D’autant plus que la famille Gracie toute entière et même les compagnons de ses belles-sœurs et de ses beaux-frères, issus de la haute société, partageaient son opinion à propos de la profession choisie par ses enfants.

Avec l’inauguration de l’Académie Gracie de Jiu-Jitsu au 116, Rue Marquês de Abrantes, Carlos a inauguré le début d’une longue tradition de combattants et d’instructeurs de renom. Bientôt sa vie et celle de ses frères allaient changer.

DONNER UNE LEÇON À LA CAPOEIRA !

Carlos suivait de près ce qui se passait dans le monde du combat. Un jour, il avait entendu une histoire ancienne, qui l’avait indigné. C’était au sujet d’un Japonais appelé Sada Miyako, qui se présentait comme un combattant de Jiu-Jitsu, et à qui l’on avait joué un sale tour. Avant le début du combat contre Cyriaco, un pratiquant de Capoeira reconnu de Rio, Miyako lui aurait tendu la main en guise de fairplay, pour ne recevoir en retour qu’un violent coup de pied dans le visage. Le combat, d’après l’histoire, aurait eu lieu en 1909, au Pavillon International. Carlos était furieux en apprenant ce qui était arrivé à Miyako et voulait dénoncer l’attitude déloyale de Cyriaco. Plus tard, en entendant les commentaires déplaisants sur le Jiu-Jitsu faits par un autre combattant réputé de Capoeira, un certain Samuel qui était docker au Port. Carlos s’est senti personnellement attaqué. Il s’est dit que le moment était venu de venger Sada Miyako et de donner une leçon à ce gang de Capoeiristes. Il lança alors un défi à Samuel par l’intermédiaire des journaux.

Le combat entre Carlos Gracie et le capoeiriste Samuel eut lieu dans l’Association chrétienne des jeunes (ACM). Manoel Rufino dos Santos en fut l’arbitre. Il était professeur de sport et pratiquant de Lutte gréco-romaine. Devant l’incapacité de ce dernier à définir les règles qui devaient régir le combat, Carlos décida qu’il n’y en aurait pas. Carlos et Samuel furent ainsi les protagonistes du premier combat public de Vale-tudo (combat libre en portugais), inaugurant cette forme de combat sur les rings brésiliens.

CARLOS GRACIE CRÉA LE COMBAT LIBRE ÉTAIT

Le sponsor du combat, le Directeur de l’ACM, très impressionné par la violence du combat, voulut l’interrompre, mais les amis de Carlos l’en empêchèrent. Lorsqu’il a voulu appeler la police, ils ont coupé le câble du téléphone. À la fin, c’est le public qui dut séparer Carlos de son adversaire, pour l’empêcher de la tuer. En dépit de l’incontestable supériorité de Carlos pendant l’affrontement, l’arbitre, vu l’état déplorable de Samuel, a préféré déclarer le match nul, sous prétexte qu’il n’y avait pas eu de désistement explicite. Samuel n’avait ni perdu conscience, ni abandonné le combat. En dépit des protestations, Rufino a maintenu sa décision. Cela n’a pas empêché Carlos d’être ovationné par le public en véritable vainqueur et de quitter triomphalement l’Association dans les bras de ses amis.

À cette époque, les événements étaient désorganisés et l’improvisation de rigueur. Ce genre de baroud n’était pas encore dénommé Vale-tudo, mais on voyait des choses bien plus brutales que le Combat Libre moderne. En ce temps-là, il n’existait que des combats sportifs comme la boxe et d’autres modalités régies par des règles spécifiques, qui limitaient la variété des coups. Mais rien de comparable à ce qui venait de naître : le Vale Tudo !

LE JIU-JITSU UN VRAI MODE DE VIE

Une fois passées la rage et l’excitation du moment, Carlos insista pour saluer Samuel. C’était sa façon à lui de montrer du respect à ses adversaires, indépendamment de la situation, car il avait appris de Koma que le vrai guerrier savait être noble : “Samuel a bien employé des moyens exécrables, mais en fin de compte, c’était bien du Vale-Tudo” a justifié Carlos plusieurs années après à propos de leur duel. Le docker, qui avait un bras inutilisable, put à peine lever l’autre pour saluer Carlos Gracie. Comme lorsqu’il était venu en aide, alors enfant, à un chien après l’avoir mis KO, Carlos éprouvait de la compassion pour ses adversaires ; de la même manière qu’il compatissait pour les coqs en les voyants battus.

En fin de compte, il les admirait pour leur courage et leur disposition à monter sur un ring pour combattre de façon juste et ouverte. Ce furent des gestes comme celui-là qui contribuèrent à différencier progressivement les Gracie des autres combattants, en les plaçant à un autre niveau.

Au-delà du développement du Jiu-Jitsu, Carlos a mis en place une nouvelle notion de comportement et de valeurs qui prévalait désormais à l’univers du ring. Pour lui, le courage et la loyauté devaient toujours être associées. Et plus qu’un combat, le Jiu-Jitsu devait impliquer un vrai mode de vie.

CARLOS GRACIE DEVAIT PROUVER L'EFFICACITÉ DE SON ART

Le manque de scolarité n’a pas empêché Carlos d’acquérir une profonde connaissance de la psychologie humaine. Observateur inné, il s’est vite rendu compte que le Jiu-Jitsu touchait à une question fondamentale pour l’assurance psychologique, associée à l’instinct de survie de l’être humain, dont le processus civilisateur n’a pas réussi à éradiquer l’esprit belliqueux et chez qui la masculinité et la virilité ont toujours été associées à l’autoprotection. Historiquement, toutes les cultures, des plus développées jusqu’aux plus primitives, ont imposé aux mâles un rôle protecteur, envers eux-mêmes, leur famille, voire le territoire qu’ils occupent. Tous les mâles, y compris les plus pacifiques, souffrent s’ils ne se sentent pas capables de faire face à une situation humiliante ou menaçante. 

VICTOIRE DÉFINITIVE SUR LA CAPOEIRA

L’année 1931 s’acheva avec le combat entre Carlos Gracie et Mario Aleixo. Aleixo, qui venait de récupérer d’une contusion subie pendant un entraînement, monta sur le ring comme l’un des derniers espoirs de la Capoeira. Le Théâtre République était plein. Il n’y avait pas une place de libre dans les loges ou les gradins, un grand nombre des places étant occupées par des personnalités les plus importantes de la société “carioca”, ce qui était très inhabituel à l’époque pour ce genre d’évènement. Entretenant d’admirables rapports sociaux, les Gracie commencèrent à provoquer certains changements dans les mentalités. Un public élitiste était de plus en plus attiré par les combats. Ce public admirait les Gracie pour leur courage et leur audace d’affronter des hommes gigantesques sur le ring, parce qu’outre le physique commun qui les caractérisait, ils se montraient toujours droits et véhiculaient une bonne image. (…)

LIBRES POUR COMBATTRE

Libres, les Gracie ont donné suite au calendrier des combats prévus pour 1934. C’était le tour du Japonais Myaki d’affronter Hélio Gracie. La rencontre eut beaucoup de publicité dans les journaux.

D’abord rattaché à la Fédération brésilienne de boxe, le Jiu-Jitsu a dû attendre pour se transformer en sport réglementé, avec des règles et des critères d’attribution de points spécifiques. Pour éviter qu’Hélio ne combatte dans des conditions trop désavantageuses, Carlos dut se frotter plusieurs fois aux membres de la Fédération, avec qui il entretenait des relations pour le moins houleuses. Pour maintenir son frère dans le circuit, il dut accepter de le laisser affronter des combattants dans différents styles, notamment en lutte libre, puisque les seuls adversaires capables de faire face au Jiu-Jitsu étaient de rares Japonais.

Myaki, dont le vrai nom était Tonda, s’entraînait à Sao Paulo en compagnie d’un autre Japonais, Yassuit Ono. Ayant obtenu sa ceinture noire au Kodokan, considérée par le Journal des Sports comme la plus renommée des écoles de Jiu-Jitsu du Japon, dirigée par le très fameux Jigoro Kano, Myaki était considéré comme un professeur de Jiu-Jitsu des plus légitimes. Il partait donc favori de ce combat. Hélio s’entraînait sous les ordres et l’orientation de Carlos qui se chargeait personnellement des entraînements les plus techniques.

CARLOS GRACIE, L'HOMME ORCHESTRE

Au fur et à mesure que le combat approchait, Carlos développa un schéma d’entraînement de plus et plus léger et technique. Tout seul, il cumulait toutes les fonctions qui sont attribuées aujourd’hui à une équipe entière pour entraîner des athlètes professionnels. C’était lui qui définissait le programme d’entraînement, sélectionnait les sparrings et décidait du timing et de la façon dont Hélio devrait s’entraîner : le bon moment pour s’échapper d’une position montée, d’une prise de dos, pour passer la garde ou se défendre avec l’une de ses mains attachées à la ceinture du kimono, comme il avait vu Omori le faire lors de leur premier combat à Sao Paulo. Carlos l’a obligé à développer d’autres techniques pour esquiver les coups de ses adversaires ou les vaincre de façon éclair. Carlos s’occupait aussi des techniques de respiration, pour qu’Hélio ne se fatigue pas excessivement au cours du combat. Selon lui, un bon combattant devait absolument savoir maîtriser la fatigue : c’était à ce moment-là que la bataille commençait véritablement.

Carlos a réalisé aussi que le sable de la plage était parfait pour l’entraînement, puisqu’il amortissait l’impact des chutes et exigeait plus de résistance musculaire dans l’exécution des exercices (…)

1934

(…)

Carlos avait décidé d’en finir assez tôt avec sa carrière de combattant. Ne pas participer aux défis lui permettait de se dédier aux activités intellectuelles et spirituelles, à ses recherches alimentaires et à la consolidation des projets associés au Jiu-Jitsu, dont l’Académie et la carrière de combattant professionnel d’Hélio. (…) Pendant quelque temps, il eut à nouveau l’aide de son frère Gastao, qui après quatre ans à Sao Paulo était retourné à Rio, pour reprendre la poste d’instructeur à l’Académie, à côté d’Hélio et Oswaldo.

En plus des cours à l’Académie, Gastao travaillait aussi à l’Hôtel Copacabana Palace, comme chef de la sécurité. Malgré leurs emplois respectifs, lui comme Oswaldo, n’ont jamais cassé d’aider Carlos à l’Académie tout le temps qu’ils habitaient à Rio. Mais le séjour de Gastao à Rio fut plus court que ne l’aurait souhaité Carlos.

(…)

Parmi les cinq frères, George était le seul qui continuait à combattre régulièrement. Avec la réussite, il abandonna le scooter et acheta une décapotable. Il profitait bien de la vie et prenait vraiment du bon temps. Tout l’argent qu’il gagnait était aussitôt dépensé. Pour équilibrer ses finances, il dépendait toujours d’un prochain combat. Certains sponsors, intéressés par la participation d’étrangers dans le circuit des combats de Rio commencèrent à investir dans des combattants brésiliens pour qu’ils puissent s’insérer dans des circuits internationaux. (…)

UN SUCCÈS EMBARASSANT

Moins d’un mois après son combat contre Omori et après la prohibition des combats de Vale-tudo par la Commission municipale de boxe, George affronta Dudu, selon les règles de la lutte libre et contre l’avis de Carlos, pour qui ces règles limitaient l’utilisation de la multiplicité des ressources techniques du Jiu-Jitsu. Dès que les Gracie avaient commencé à combattre, ils se sont imposés sur tous leurs adversaires. Ce qui n’était pas sans inquiéter leurs adversaires et les organisateurs des combats. De temps en temps, Carlos se voyait obligé de s’opposer aux membres de la Commission, à cause de règlements à géométrie variable. 

La Commission voulait ainsi accommoder les intérêts de sponsors, guère satisfaits de l’invincibilité de cette famille, et dont les victoires incessantes nuisaient à la carrière des autres combattants. Car si les Gracie remplissait des stades et aidaient à promouvoir d’autres combattants, leur suprématie restait proprement décourageante. Pour que les Gracie puissent continuer à combattre, Carlos dut céder sur certains points, mais toute sa vie, il refusa de transiger sur une question. Il n’a jamais consenti à négocier et à arranger l’issue des combats. Ce genre de farces ne l’intéressait pas.

L'ACADÉMIE GRACIE, LE TEMPLE DU JJB

L’Académie avait cinq rings et après une période assez courte, une centaine de leçons privées étaient dispensées tous les jours. En deux décennies, une moyenne de 600 élèves passaient la porte de l’Académie tous les mois. Trois mille kimonos avaient été confectionnés, pour les besoins des élèves et des professeurs, dans les ateliers de couture de la maison de Theresopolis. Chaque week-end, Carlos et Helio ramenait plus de 600 kimonos sales en camion à la maison, dans les montagnes, où ils étaient lavés par une machine industrielle installée dans la blanchisserie domestique. Se référant au nombre de kimonos lavés, Helio comptabilisait le nombre de leçons données. (…) “Le système était parfait”.

Chaque cours était noté sur une fiche individuelle : l’heure d’arrivée et de départ de l’élève, les mensualités, les leçons particulières. Hélio conservait certaines de ces cartes en guise de souvenirs. “Nous donnons la leçon aux présidents et aux ministres. Les dirigeants du Brésil passent entre nos mains”.

LA MAISON DE THERESOPOLIS

L’année 1952 fut

UN CLAN "SAMURAÏ-TECH"

La maison était équipée d’un téléviseur

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