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Aux origines du Vale Tudo et de la dynastie Gracie première partie. Rio, début du 19ᵉ siècle, épique époque où s’enracine la saga brésilienne des Gracie et du Vale Tudo ! Avec la biographie qu’elle trace de son père Carlos, c’est toute la saga familiale que Reila remet en perspective.
Jamais la légende n’avait été soumise à un tel travail d’historien. `À travers sa propre expérience et après 10 ans de recherches inestimables, Reila a lâché une bombe qui fera date. Le livre vient de sortir au Brésil, où c’est déjà un best-seller.
Karaté Bushido vous offre en avant-première quelques extraits qui vont changer radicalement votre vision de la plus grande famille des arts martiaux contemporains.
Aux origines du Vale Tudo - Carlos Gracie l'âme du Jiu-Jitsu Brésilien
Toute petite déjà, Reila faisait des démonstrations avec son père Carlos et son oncle Helio. Aujourd’hui mère du plus grand champion actuel de JJB, Roger Gracie, et œuvrant dans une maison d’édition d’art contemporain depuis 1986, son livre n’est pas qu’une biographie éclairée de 592 pages, c’est la radiographie d’une aventure familiale incroyable. Un vrai point de vue lumineux sur les arts martiaux brésiliens du 20ᵉ siècle et la réinvention du Jiu-Jitsu à la sauce tropicale. Sur fond de vale tudo et de réalisme impitoyable. Qui dit mieux ?
Avant d’être un grand homme charismatique, excentrique et visionnaire à l’enthousiasme contagieux, Carlos était un enfant hyper rebelle en quête d’identité. Le Jiu-Jitsu sera sa foi et le vale tudo sa profession (de foi). Reila veut rendre à son père la place de patriarche qui lui revient, et ressortir de l’ombre de grands oubliés de l’histoire : “Carlos a été le créateur, le cerveau et l’âme du Gracie jiu-jitsu et Helio son premier apôtre, son premier champion.
Mon frère Rolls, dans les années 70 a aussi effectué une modernisation technique sans précédent”. Nul parti pris là-dedans, juste un peu de justice… et de patience. Pour parer son livre d’une parfaite légitimité historique, Reila s’est fendue d’une recherche documentaire et iconographique approfondie. Dix ans de travail ! Son livre fourmille de témoignages captivants et d’anecdotes ultimes. Afin de lever le voile sur certains mystères auparavant insondables et finaliser certaines contre-vérités historiques qui ont encore la vie dure. Une lecture ô combien précieuse, vous l’aurez compris. On espère ! Régalez-vous, c’est cadeau.
Bonne nuit grand-père
“Un fermier, sur son lit de mort, convoqua ses trois fils. Il demanda au premier de casser une branche, ce qu’il fit sans problème. Au second, il offrit de casser deux branches en même temps, ce qu’il fit à son tour. Le premier demanda alors aux trois de faire un fagot et de briser toutes ces branches ensemble, mais même en conjuguant leurs efforts, cela leur fut impossible.
Si tout ce que nous vivons et tout ce qui arrive en ce monde à un sens, même s’il reste caché et obscur à la lumière de la raison, alors ce n’était pas juste une coïncidence que Carlos Gracie passe ses derniers jours dans une chambre bleue, écoutant sa petite fille de 8 ans, Hanna, qui lui lisait des passages de la Bible tous les soirs à son chevet.
Le bleu était la couleur favorite de Carlos. Lorsqu’il arriva à l’appartement de son fils Robson et en voyant la chambre qu’ils avaient préparée pour lui, il demanda avec un mélange de délire et de satisfaction, “Suis-je arrivé à la porte du paradis ?”. Hanna revint dans la chambre pour souhaiter bonne nuit à son grand-père, comme elle le faisait tous les soirs avant d’aller se coucher. “Bonne nuit Grand-père”, Carlos souriait, l’embrassa et lui dit “Au revoir !”.
Le lendemain à sept heures du matin, Maximino, qui travaillait pour la famille depuis des années, remarqua en arrivant dans la chambre que la pression artérielle tombait brusquement. Il courut alerter son employeur. Layr, la femme de Carlos et sa compagne depuis 38 ans arriva dans tous ses états pour voir son mari endormi dans sa position habituelle et le visage empli de douceur.
Pendant que les autres étaient dans le selon, à appeler leurs amis et faire les arrangements pour les funérailles, je préférais rester dans la chambre, seule, au côté de mon père. Après un moment, je me rendis compte que les gens venaient à la porte, me parlaient et repartaient vite fait. Je décidais alors de demander à Maximino d’aller chez moi chercher l’appareil photo. Il y avait assez de lumière pour ne pas avoir besoin du flash. Il n’y avait personne dans la chambre, à part nous deux. L’appareil était prêt, je n’avais plus qu’à presser le bouton et l’image de mon père gisant là, les yeux fermés, impassible et serein, comme un ange endormi, serait enregistré à jamais.
Le délic
Je savais qu’il n’était plus là, que c’était juste un corps inerte sur le lit, mais mon doigt refusa d’appuyer sur le bouton et j’étais rattrapée par un sentiment de malaise. Néanmoins, je demeurais là quelques minutes, paralysée, regardant l’image à travers le viseur, tout en essayant d’analyser le mauvais sentiment qui me parcourait. Je réalisais alors que mon père était mort et que j’essayais de prendre une photo de lui, furtivement et sans permission. Il n’était pas comme les autres hommes ; il était à la fois le patriarche et le guide spirituel, le docteur et le leader du clan Gracie, imprimant sa touche singulière, sa propre culture, tribale, mais capable en même temps d’interagir spirituellement avec la société qui l’entoure.
J’utilisais l’appareil photo comme pour me protéger de la douleur de l’avoir perdu. Je baissais alors l’appareil photo et sans bouger, je continuais de le regarder hébéter. Sa mort venait à peine de boucler un autre cycle dans l’histoire du clan Gracie que le suivant commençait déjà à être écrit par la vie. Mais si ma curiosité naturelle, renforcée par mon amour m’avaient menée, depuis mon enfance, à me plonger dans les évènements et les systèmes et les mystères de sa vie, j’en savais bien peu en fait, et là, seule devant son corps et dans son sanctuaire bleu, je compris que j’avais besoin d’en savoir beaucoup plus. Il me fallait rassembler mes mémoires et tout conserver pour ceux qui viendraient après moi. Je tirais le tabouret et restais avec lui encore une ou deux heures… jusqu’à ce qu’ils viennent le chercher.
Aux origines du Vale Tudo - De l'Écosse jusqu'au Brésil
Carlos Gracie appartenait à la 3e génération de Gracie née au Brésil. Il se sentait profondément brésilien, mais son surnom et sa morphologie trahissaient ses origines écossaises, et on le prenait souvent pour un Européen de naissance. Très tôt, il avait été habitué à son allure d’étranger, mais le besoin de renforcer son identité brésilienne accentua en lui le goût de la culture de son pays et de tout ce qui était brésilien.
Bien que trois générations ne semblent pas remonter si loin que ça, les héritiers de Carlos en savent très peu sur l’histoire de leurs ancêtres écossais. Ils ne sont sûrs que d’une chose : que leur nom de famille est écossais – rien de plus. Alors revenons dans le temps pour explorer la vie du créateur du Jiu-Jutsu Brésilien, ou du Gracie Jiu-Jitsu comme certains l’appellent.
Le premier Gracie à fouler le sol brésilien était George Gracie, l’arrière-grand-père de Carlos. Il était né à Dumfried, en Écosse, le 4 août 1801 et issu d’une famille protestante-calviniste. George arrivait au Brésil en 1826, alors qu’il avait 25 ans, avec quatre de ses amis. Ce n’était pas inhabituel pour un jeune homme écossais d’immigrer à la Première cour impériale du Brésil. La cour royale du Portugal s’était installée au Brésil, le commerce avec l’Angleterre et l’Écosse s’était intensifié, et beaucoup de coutumes étaient déjà intégrées dans la culture brésilienne et son mode de vie tropical.
Le navire de George était mouillé au port de Rio de Janeiro, le port le plus important et le plus commercial du pays, où les marchandises et les gens d’origines les plus diverses arrivaient de l’autre côté de l’Atlantique ; des milliers d’esclaves africains, qui venaient travailler dans les plantations de sucre et de café, comme au service des familles les plus nanties.
Cocktail de races et d'épidémies
En dépit de la beauté naturelle de la ville, la salubrité en prenait pour son grade. À peine arrivés, les voyageurs étaient accueillis par la “chaleureuse” pestilence des quais Pharoux et devaient se couvrir le nez avec leurs mouchoirs ; le simple fait de respirer était proprement infernal.
Les pauvres avaient pris l’habitude de jeter les excréments à l’océan par tonneaux et le cocktail des races où se mêlaient Européens, Africains, Amérindiens et même quelques Asiates de l’Est étaient absolument stupéfiant. Rio de Janeiro était un foyer perpétuel d’épidémies de variole, de fièvre jaune, de peste bubonique et de tuberculose qui tuaient des milliers d’habitants tous les ans. De sorte que le nombre des nouveaux immigrants compensait juste celui des mots.
George Gracie ne devint jamais aussi riche que ses cousins d’Amérique du Nord, mais il fit une fortune honorable. Quand il rencontra la Brésilienne Mariana Antônia Malheiros, qui n’avait que quatre mois de moins que lui, il parlait déjà couramment portugais et il était bien établi dans la ville.
A la fin du 19e siècle, un nouveau concept d’enseignement conventionnel commençait à se répandre en Europe, qui remettait en cause de vieux principes éducatifs et consistait à stimuler l’intellect des jeunes étudiants. Mais malgré la passion pour les arts martiaux qui touche toutes les nouvelles générations de Gracie, aucun des enfants de Pedro Gracie n’était attiré par le sport. Parmi ses cinq enfants, trois furent diplomates : Alberto, Samuel et Gastao.
Gastao Gracie, le père de Carlos Gracie, était né le 30 juillet 1872. Il avait vécu 10 ans en Allemagne et parlait parfaitement huit langues étrangères, dont le Grec et le Latin. Malgré son diplôme de chimie, il avait décidé d’embrasser la carrière diplomatique.
Carlos & Koma "Mitsuyo Maeda" la rencontra
Le premier contact de Carlos Gracie avec le Jiu-Jitsu remontait à la démonstration publique que Conde Koma faisait au Théâtre de la Paix de Belem. Pour la première fois de sa vie, un Carlos intimidé était témoin de la victoire de la technique sur la force brute. C’était tout ce qu’il recherchait : une technique qui compensait son désavantage de poids et de force par rapport à ses adversaires. Quand Maeda s’était décidé à ouvrir un cours de Jiu-Jitsu, Gastao pensa que ce type de combat ferait une excellente soupape de sûreté pour l’agressivité de son fils de 15 ans et il l’emmena voir le maître.
Dès leur rencontre, une sorte de communion lia le maître japonais au jeune homme de Para. Maeda vit-il un futur champion dans ce frêle garçon ? En remerciements des services que Gastao lui avait rendus, Koma accepta d’enseigner le Jiu-Jitsu à ce garçon insolent, dont il se prit d’affection et en qui il retrouvait probablement son propre tempérament.
Maeda et Carlos se virent quasiment tous les jours un an durant, jusqu’au voyage de Maeda à Liverpool, en 1917, avec Okura et Shimitsu. C’était assez pour changer la vie de Carlos et l’histoire des arts martiaux à tout jamais. Carlos devint obsédé par le Jiu-Jitsu et continua, même en l’absence du maître de s’entraîner avec son assistant Jacinto Ferro, qui donna aussi des leçons aux frères de Carlos, Oswaldo and Gastaozinho. Lorsque Koma revint à Belem, Carlos reprît ses leçons avec lui.
À son retour d’Angleterre, Maeda avait épousé la sœur du consul français et renouvela son partenariat avec Carlos Gracie sur The American Circus. Lors d’une tournée de ce cirque en 1919, Maeda retourna à Manaus pour défier son ami Satake. Toutes les références biographiques ont beau affirmer que Maeda n’avait perdu que deux combats – tous deux en Angleterre, la vérité est que ce jour à Manaus, il souffrit une troisième défaite. Un revers qui le conduisit à penser qu’il n’était plus en condition à 41 ans et qui explique aussi pourquoi il se retira ensuite progressivement du Jiu-Jitsu, pour se consacrer pleinement à sa carrière de consul honorifique du Japon.
