Le destin exceptionnel des grands maîtres du sabre. Les Arts Martiaux des samouraïs, comme ceux des ninjas et des moines-guerriers, sont avant tout pragmatiques. Le but est de vaincre, que ce soit sur le champ de bataille, lors d’un duel à mort, ou dans un tournoi officiel.
Art du sabre qui poignarde
Entre les multiples écoles de combat existent à l’évidence des différences techniques parfois notables. Mais les mouvements superflus, les recherches stylistiques et autres effets de manche n’ont pas leur place lorsque la pratique a pour but principal de protéger la vie. Toutefois, le pragmatisme n’exclut pas l’esthétisme. Pour les grands maîtres du sabre et des Arts Martiaux, ce qui est efficace est forcément beau, et n’est pas vraiment beau que ce qui est efficace.
La dimension hautement pragmatique des Arts Martiaux japonais anciens peut être illustrée par l’histoire de la création de l’école Nagao-ryû. Le grand chef de guerre Shingen Takeda, déjà cité, avait à son service un Général de grande valeur. Un certain Harunobu Bada, passé maître dans un art connu à l’époque sous le nom de Shitô-no-jutsu ou Art du Sabre qui poignarde. Ce Shitô-no-jutsu (dont il convient de préciser qu’il est sans rapport avec l’école de Karaté nommée Shitô-ryû). Il consistait en une utilisation originale d’une dague de combat que l’adepte dégainait avec rapidité et surprise, avant de la plonger dans la poitrine de sa victime.
Kenshin Uesugi redoutait cette technique des grands maîtres du sabre
Le grand rival de Takeda, Kenshin Uesugi, redoutait par-dessus tout cette technique. Il ordonna donc à l’un de ses meilleurs guerriers, Kanmotsu Nagao, de mettre au point une méthode originale destinée à neutraliser l’efficacité du Shitô-no-jutsu. Nagao effectua une retraite en montagne afin de trouver une solution. C’est ainsi que fut créée l’école Nagao-ryû.
Une tradition ancienne et japonaise de la guerre des styles ou guerre des écoles. Née à une époque où les clans féodaux se déchiraient entre eux pour accéder au pouvoir. Cette tradition survécu jusqu’à la fin du XIXe siècle : époque où le Jûdô naissant et les dernières grandes écoles de Jû-jutsu s’affrontèrent à mains nues en des combats mémorables, pour l’obtention des postes d’instructeurs dans les Préfectures de Police. Nous y reviendrons plus loin.
Le grand maître Bokuden et le Sabre de Kashima
Puisque le Ken-jutsu représentait la discipline majeure des Arts Martiaux japonais anciens. Il me semble intéressant de nous pencher maintenant sur la vie de quelques grands maîtres de sabre. Ceux qui marquèrent de leurs exploits l’histoire du Japon médiéval.
L’un des premiers fut Tsukahara Bokuden. Il naquit en 1489 dans la province de Kashima. Connues, entre autres choses, pour son sanctuaire Shintô, le Kashima-jingû et ses prêtres guerriers réputés dans l’art du sabre. La tradition du sabre dans la région de Kashima (Kashima-no-tachi ou Sabre de Kashima) faisait état de l’existence de sept écoles principales. (Les sept écoles de Kashima). Celles-ci, étaient reconnues pour la rudesse de leur style et leur efficacité sur les champs de batailles.
Ainsi Bokuden est le fils d’un des prêtres du sanctuaire, Kakuken Urabe. Lui-même répond au nom de Tomotaka Urabe. Par la suite, il sera adopté par un des seigneurs de Kashima, Shinzaemon (Yasumoto) Tsukahara, et sera connu sous le nouveau nom de Tsukahara Bokuden.
C’est vers l’âge de vingt-deux ans que Bokuden participe à son premier tournoi de Ken-jutsu. Ce tournoi réunit sept sabreurs de haut niveau. Cependant, tous samouraïs de valeur, ayant déjà fait leurs preuves sur le champ de batailles. Parmi eux se trouve le maître Masanobu Bizen-No-Kami Matsumoto (1468-1524). Légende de son époque, alors âgé d’environ quarante-quatre ans. Masanobu Matsumoto est le créateur d’une école de sabre réputée, la Kashima-shin-ryû, encore en activité de nos jours. Il a étudié l’art du sabre sous la direction du grand maître Ienao-Chîsai Iizasa, le fondateur de l’école Tenshin-shôden-katori-shintô-ryû. C’est ainsi qu’il a pratiqué aussi les techniques de l’école Kashima Chûko-ryû. Il a fait sa réputation sur les champs de batailles où ses victoires ne se comptes plus.
Un combat à mains nues dans un tournoi de grands maîtres du sabre ?
L’enjeu du tournoi est simple : le vainqueur aura l’honneur de représenter la région de Kashima lors d’un duel qui aura lieu l’année suivante à Kyôto. Alors capitale du Japon. Ainsi en a décidé le Shôgun Yoshitada Ashikaga. Dans ce genre de compétition, les combattants utilisent généralement des bôkken ou sabres de bois, et ne portent pas d’armure. Les blessures graves ne sont pas rares et parfois, il y a des morts ! Toutefois, il s’agit le plus souvent de tournois courtois. Les frappes sont, en principe, arrêtées quelques centimètres avant l’impact selon la règle du sun-dome (Arrêter [la frappe] à un pouce de la cible). Les participants comptent sur l’œil exercé des arbitres (tous reconnus comme des grands maîtres du sabre) et sur l’honnêteté des adversaires.
Ce jour-là, Bokuden se retrouve en finale contre Matsumoto. Il perd d’abord le combat aux bôkken mais remporte juste après le combat à mains nues ! Que vient faire un combat à mains nues dans le cadre d’un tournoi de sabre ? La réponse à cette question va permettre de mieux comprendre le contexte de la pratique des Arts Martiaux japonais en cette époque troublée du début du XVIe siècle.
Lors de l’affrontement aux sabres, Matsumoto a brisé d’un coup sec le bôkken de son jeune adversaire. Ainsi donc, s’assurant une victoire nette et décisive. En effet, dans un combat réel, sur le champ de bataille par exemple, le combattant désarmé n’a que peu de chance face à un sabreur expérimenté. D’autant plus si ce sabreur se nomme Matsumoto.
Le sabre brisé du maître Ueshiba
Avant de poursuivre l’histoire de Matsumoto et de Bokuden. Arrêtons-nous un instant sur l’épisode du sabre brisé : il s’agit dans ce cas d’un sabre de bois. Il faut sans doute une technique consommée pour détruire un bôkken ainsi que l’a fait Matsumoto. Conséquemment, un éclat de bois projeté avec violence dans le vide peut blesser gravement le visage d’un combattant. Les bôkken d’alors étaient des armes lourdes et résistantes, pouvant donner la mort en cas de besoin.
Une autre mention d’un sabre brisé est restée célèbre dans l’histoire des Arts Martiaux japonais. Nous sommes au milieu du XIXe siècle. Le maître Morihei Ueshiba, fondateur de l’Aïkidô, invite l’un de ses jeunes disciples, un certain Mitsugi Saotome, pour un entraînement aux sabres de bois. Lors de l’affrontement en question, le sabre de Saotome entre soudain en contact violent avec celui du maître, et le bôkken de ce dernier se brise à son extrémité. Saotome est confus, car le sabre brisé avait été taillé dans un bois précieux et le maître y tenait beaucoup.
Cessant le combat, il se met alors en quête du morceau de l’arme qui a été projeté dans l’espace du dôjô. En vain ! Au bout d’un moment, amusé des efforts de son disciple, le maître interroge : “Que cherches-tu, Mitsugi ?”. Puis, désirant mettre fin à la plaisanterie, Ueshiba sortit du pli de sa veste le bout de bois tant recherché.
Je laisse au lecteur le soin d’imaginer la façon dont le maître Ueshiba, connu pour ses étonnantes capacités d’anticipation, a pu récupérer au vol l’extrémité de son bôkken brisé, sans que Saotome ne s’en rende compte !…
Écrit par Patrick Lombardo, 7e dan F.F.K – Karaté Bushido N° 365 – mars 2008 (article d’origine disponible au téléchargement en version numérique) – Mis à jour par Lucie.
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