Une chronique d'Henry Plée
Avant de vous expliquer en quoi sont différents les “Katas” d’esprit japonais de ceux d’esprit “Okinawaïen”, en fait chinois. Ce que personne n’a osé faire jusqu’à présent me semble-t-il. Je tiens à préciser que je ne suis absolument pas “contre” leur pratique. Cependant l’erreur est de leur attribuer des vertus qu’ils n’ont pas et, surtout, il faut savoir quels sont leurs inconvénients.
"La plus grande mystification est de faire croire qu'elle n'existe pas"
Car, comme le dit Merlin l’Enchanteur (dans le dessin animé de Walt Disney du même nom) “s’il y a un dessus… il y a un dessous”. S’il y a du bon… il y a du mauvais”… “c’est comme ça que tout tourne rond !”
La “Lucidité implacable” s’impose pour un “Chercheur de Vérité Karaté” digne de ce nom, puisqu’il s’agit de son avenir, de son psychisme et de sa survie.
Il est fort probable que ce fut pour faciliter l’introduction du “Kempo des Îles Ryu-Kyu” au Japon que le Maître Gichin FUNAKOSHI nomma “Kata” (“forme”, “moule” en japonais) ce qui était nommé “Lu” ou “Tao-Lu” en Chine… et à Okinawa.
Or, “Lu” (prononcer “lou”) ne signifie pas “forme” ni “moule” mais “séquence”. Car il s’agit bien d’une séquence de combat virtuel… contre une dizaine, voire une vingtaine d’attaquants, “hommes du peuple” d’une nullité telle qu’un seul coup suffit à mettre chacun hors de combat. En fait, il s’agit d’un spectacle de type “démonstration”, similaire à celles destinées à éblouir des spectacles néophytes. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’apportent rien aux “comédiens”, puisqu’en Chine “Lu” est souvent complété par “Tao” (“Tao-Lu”). Le “Tao” en question est tout simplement la forme occidentalisée de “Dao”, dont l’idéogramme chinois se lit en japonais… “Do”.
Les KATAS d'esprit japonais sont avant tout des manuels d'instruction
Pour que ce soit parfaitement clair pour vous, prenons comme exemple les Katas du Judo (comme synthèse du Ju-Jutsu). Le premier Budo qui ait été créé, en 1882, par Jigoro KANO (1860-1938) “pour que survive l’esprit martial japonais du passé”.
Quel que soit le Bu-jutsu ou le Budo, les Katas traditionnels japonais sont toujours, je dis bien TOUJOURS constitués d’une succession de techniques fondamentales, mises dans un ordre pédagogique.
CE SONT DES MANUELS D’INSTRUCTION, qui s’exécutent sans hâte, avec dignité (comportement Samouraï oblige) et avec un grand réalisme. Ils ne contiennent aucune des nombreuses mystifications chères aux Chinois dans leurs Tao-Lu.
En Judo, sept Katas sont destinés à transmettre les techniques et les principes de base de cet Art Martial. Ce sont :
- Le NAGE-NO-KATA : 15 projections fondamentales, s’effectuant sur trois pas. 3 projections de main (Te-waza). 3 de hanche (Koshi-waza). 3 de pied (Ashi-waza). 3 sacrifices en se jetant soi-même sur le dos (Ma-sutemi) ainsi que 3 sacrifices en se jetant soi-même sur le côté (Yoko-sutemi).
- Le KATAME-NO-KATA : 15 contrôles de base sur une adversaire couché sur le dos, assis, et à genoux. 5 immobilisations, 5 étranglements, 5 luxations.
- Le KIME-NO-KATA : 20 techniques de combat réel, incluant des attaques de points vitaux (Atémis issus du Kempo, le “Karaté” antique japonais).
- Le GOSHIN-JUTSU-NO-KATA : 21 techniques de défense contre les attaques de main et de pied, ainsi que des défenses contre les attaques avec sabre, poignard, bâton et… pistolet.
- Le JU-NO-KATA : 15 principes pour utiliser le corps de la façon la plus efficace, en utilisant intelligemment la force de l’adversaire. Un Kata mésotérique.
- Le ISUTSU-NO-KATA : 5 principes évoquant les forces de la nature. Un Kata ésotérique.
- Le KOSHINKI-NO-KATA : 20 techniques spéciales pour Samouraï en armure… qui est vieux de 400 ans.
Koshinki-No-Kata LE SEUL KATA JAPONAIS DATANT DU XVIe SIÈCLE
Le Koshinki-No-Kata est intéressant au plus haut degré. Parce qu’il est le seul vestige donnant une idée précise de ce qu’étaient les Katas du passé féodal japonais.
Il fur créé à la fin du XVIe siècle, par la KITO-RYU, une Ryu célèbre de Yoroï-Kumi-Uchi (Ju-jutsu en armure). Ken-jutsu (Sabre), Bo-jutsu (Bâton, lances Naginata et Yari), Kusari-Gama (faucille avec chaîne). Eh bien évidemment Ju-jutsu (plus exactement Yawara).
Ce Kata enseignait et rappelait aux Samouraïs en armure comment attaquer, se défendre et projeter, lorsqu’ils étaient désarmés.
Ayant été initié au Ju-jutsu en 1870, par le Maître Likubo TSUNETOSHI, et la KITO-RYU. C’est ainsi que le Maître Jigoro KANO décida de conserver ce Kata traditionnel, sans rien modifier. Or, même ce Kata antique, très réaliste, reste sobre, digne. C’est pourquoi il est une succession de techniques et de principes de base, sans la moindre fantaisie. La “lucidité implacable” des Samouraï s’opposait à tout ce qui pouvait ressembler au spectacle.
UN SCOOP : La plupart des "KATAS" du Karaté japonais ont été créés très récemment
Gichin FUNAKOSHI (1869-1957) libéra le Karaté du dogme Okinawaïen. Son troisième fils, Yoshitaka FUNAKOSHI (dit Gigo, 1906 – 1945). Décida de l’épuré en supprimant les mystifications d’origine chinoise et développa de nouveaux modes d’entraînement. En combat (Ippon, Sanbon, Gohon Kumité, etc). Son but était d’être réaliste et d’atteindre le niveau spirituel le plus élevé en abolissant toutes les limites physiques.
Le Maître Gichin FUNAKOSHI, opposé aux Kumités à but sportif, l’approuva lorsque – bien qu’étant “un expatrié Okinawaïen”. Il mit au point des Katas pédagogiques (tels que le TEN-NO-KATA, les TAIKYOKU-NO-KATA, etc). Toujours conformes à l’esprit martial des guerriers japonais de l’époque féodale.
Cependant, Yoshitaka FUNAKOSHI n’abandonna pas l’enseignement des “Katas okinawaïens” d’origine chinoise, puisqu’ils formaient le “fonds-de-commerce” du Karaté de son père. Il alla même en “récolter” de nouveaux à Okinawa (ce qui explique qu’il les exécutait magnifiquement). Néanmoins, le fait qu’il cessa de les pratiquer après les années 1937 est plein de significations. L’histoire dit que ce soit à la suite d’un défi malheureux “Shotokan contre Goju” à Osaka.
Et aujourd'hui...
Il faut souligné que de nos jours, ce qu’il avait alors mis au point a été abandonné dans la majorité des dojos. Trop réaliste probablement. “On” a préféré retourner aux “Tao-Lu” (nom exact chinois), autrement dit aux “Katas okinawaïens d’origine ou de conception chinoise”. Pour s’illusionner, perdre son temps, sa spontanéité, voire son instinct de conservation, “en dansant Karaté” de façon plus ou moins saccadée ou artistique.
Si bien qu’au cours de son histoire, le Karaté japonais n’a eu de cesse de s’inspirer des divers styles de Karaté okinawaïens. Et ainsi modifier les “Katas” pour les mettre en phase avec les conceptions japonaises de l’esthétique. Mais conformément à l’objectif constant de séduire et de retenir les pratiquants. Ce processus est toujours vrai. Business is business, of course.
PANORAMA HISTORIQUE DES KATAS DU KARATÉ
- Les 5 Heian (forme de Pais) ne représentent pas de différences majeures avec leurs ancêtres d’Okinawa, les Pinan (nom issu de “heiwa antei”), Pais et calme). Ils furent crées en 1895 par le Maître Yasutsune ITOSU.
- Les 3 Tekki (“Cavalier de fer“) sont issus du Naihanchi / ou Naifanchi, le Tao-Lu le plus élevé de la Shorin-Ryu (Shorin = Shaolin). Le Maître ITOSU le révisa et créa la deuxième et troisième forme à partir de la première forme, également à la même époque.
- Le Empi est une variante du Wanshu (“Vol de l’hirondelle”) créé par un Chinois, Wang Ji, qui se rendit sur l’Île d’Okinawa en 1683. Ce Tao-Lu n’était connu que dans le village de Tomari.
- Le Hangetsu (“La demi-lune“) est une variante du Seisan qui a été créé en 1890 à Okinawa, par Matsumura Sokon (1800 – 1896), après un séjour en Chine.
- Le Unsu (“Les mains en nuage“) a été créé de toute pièce par Matsumura Sokon, en 1892, en s’inspirant d’un Tao-Lu qui lui aurait été enseigné par un marin chinois échoué sur l’Île.
- Le Meïkyo est basé sur le second de la trilogie des Rohaï (“Le miroir de cristal“). Il fut créé par Yasutsune ITOSU en 1897.
Bassaï Daï et Bassaï Sho
Les Bassaï Daï et Sho (“Enlever une place forte” ou “Pénétrer la forteresse”) font partie des multiples variantes du Passaï. Il semblerait que ce fut le Tao-Lu le plus populaire du Shorin-Ryu. Le Passaï Daï (grand) remonterait à Oyadamari Kohan Peichin (1831 – 1905). Peichin est un titre élevé conféré par le roi de l’Île d’Okinawa, qui signifie (“serviteur du roi”). Le Passaï Sho (petit) fut créé en 1896 par Yasutsune ITOSU d’après le Daï.
Kanku Daï et Kanku Sho
Les Kanku Daï et Sho (“Lever les yeux au ciel”) sont aussi des variantes du Kushanku / ou Koshokun, dont la paternité serait due au Maître chinois Kung Hsiang Chun (fin du XVIIIe siècle). Yasutsune ITOSU créa le Sho en 1897 d’après le premier.
Gojushiho Daï et Gojushiho Sho
Les Gojushiho Daï et Sho (“Les 54 pas“) furent créés de toutes pièces du Ueshi / Hotaku, également par Yasutsune ITOSU.
Ainsi que vous pouvez le constater, les “Katas du Tode” sont bien d’origine chinoise ou inspirés de la conception chinoise et, surtout, ils sont beaucoup plus récents que certains le prétendent pour nous abuser.
L'art du Tode n'est plus un secret
Que l’on ne nous parle plus de “Tradition”, puisque tout prouve que la tendance à Okinawa, au XXe siècle, fut de les multiplier et que les Maîtres n’eurent aucun scrupule à les modifier.
Pourquoi ? Parce qu’à partir de 1900, le Tode n’était plus enseigné en secret à des privilégiés, comme il l’était antérieurement.
Avant d’être sous les feux de la rampe, l’Art du Tode n’était transmis par un Maître qu’à quelques disciples, et le “Tao-Lu” choisi subissait toujours des modifications nécessaires pour qu’il s’adapte à la morphologie et au tempérament du disciple. Il en était de même en Chine, où il était normal qu’un disciple décidant d’enseigner, justifie sa décision de quitter son Maître en modifiant les Tao-Lu de ce dernier. Ce qui explique les nombreuses variantes des Tao-Lu du Kung-Fu et de Taïchi.
Tous les Katas ne sont utiles aux pratiquants
D’après ces explication, il est facile de comprendre, que si certains “Katas” du Karaté peuvent convenir à la formation de certains pratiquants, en revanche d’autres ne leur seront d’aucune utilité et pourront même contrarier leur instinct du combat.
De nos jours, les instructeurs de qualité qui se sont risqués à modifier des “Katas okinawaïens” standardisés, conformément à leurs conceptions du Karaté, ont tous été rappelés à l’ordre. Ainsi, Hirokazu Kanazawa (Le premier Champion du Japon en Shiaï et… en Kata) fut “inviter” par le Japon Karate Association à démissionner.
Dur, dur.
En fait, l’adoration excessive contemporaine pour les “Katas de Karaté” standardisés est le résultat d’un ENSEIGNEMENT DE MASSE… destiné pour “ceux qui ne savent rien et qui gobent tout“.
Or l’enseignement de masse s’avère contradictoire au Karaté d’avant sa vulgarisation.